L’équipe de France d’escrime, 7e au classement des nations (sur 17 présentes), a signé un championnat d’Europe satisfaisant la semaine passée à Varsovie. En Pologne, il n’a manqué que l’or pour donner un peu plus de relief à cette belle prestation collective. Un regret toutefois, la majorité des jeunes a subi la pression, ne parvenant pas à donner sa pleine mesure. En revanche, l’état d’esprit et la dynamique collective étaient bons. Alain Febvre, le directeur sportif de la discipline pour la Fédération Française Handisport, dresse le bilan de cet Euro, dominé par l’Angleterre (6 médailles, dont 6 en or), devant l’Ukraine (12 médailles, dont 3 en or) et la Hongrie (9 médailles, dont 3 titres).
Comment qualifiez-vous ce bilan ?
Alain Febvre : Avec Sébastien Barrois et le staff, on le juge positif parce qu’on a une équipe jeune avec onze tireurs qui participaient pour la première à un championnat d’Europe. Le dernier Euro date de 2017 et nous avions décroché deux médailles d’argent et autant de bronze. Cette année, on double le nombre de médailles, donc c’est un bilan très satisfaisant. D’ailleurs, si nous sommes septièmes au nombre de titres, nous sommes cinquième au nombre de médailles gagnées.
Quelles sont vos principales satisfactions ?
A. F : La première satisfaction est la médaille de bronze au fleuret de Damien Tokatlian en catégorie A. Cela faisait très longtemps que la France n’avait plus connu de podium dans cette arme et dans cette catégorie. Ensuite, il y a la confirmation de Yohan Peter qui fait finale à l’épée malgré sa blessure à la main. Comme elle est survenue lors du dernier stage, on ne savait pas s’il allait pouvoir tirer. Il ne pouvait pas aller au-delà de cette finale au regard de cette blessure.
Pas loin de notre objectif
En revanche, il n’y a pas de médaille d’or ?
A. F : Oui. C’est une petite déception parce que j’avais fixé comme objectif huit médailles, trois finales et un titre. On n’est pas loin du compte puisque nous décrochons huit podiums, deux finales mais pas de titre. Des demi-finales à la finale, il y a un gros palier à passer. Il y a un vrai delta pour passer de la troisième marche du podium aux deux premières. Cependant, avec cette nouvelle formule, qui protège six à huit têtes de série, exemptées des poules, on est à notre place même si on est frustré de ne pas avoir entendu de Marseillaise.
Que change cette formule ?
A. F : Dès les tableaux de 16 (les 8es de finale), les assauts peuvent être difficiles. Cela ajoute de la pression pour ceux qui disputent les poules de qualification parce qu’à la moindre erreur, ils peuvent se retrouver à affronter une tête de série dès les sorties de poule. C’est ce qui est arrivé à Ludovic (Lemoine), au sabre, samedi. Il n’a perdu qu’un seul match en poule mais il a hérité de la tête de série 1 dès le premier tour. Avant, comme tout le monde tirait les poules, il y avait un peu plus de mixage chez les têtes de série qui pouvaient se faire surprendre en poule. La nouvelle formule est plus difficile.
Que manque-t-il à vos tireurs pour aller chercher les finales ?
A. F : C’est beaucoup mental. On part de loin, on ne faisait plus de podium, même en Coupe du monde. On a perdu l’habitude de gagner. Quand ils arrivent en demi-finale, les athlètes ont l’impression que le boulot est fait. Ils se sentent libérer par le fait d’avoir atteint cet objectif de médaille et après ils ne savent pas aller chercher les ressources nécessaires pour décrocher l’argent ou l’or. Pourtant, physiquement, tactiquement et techniquement, ils sont prêts. C’est psychologiquement qu’ils n’arrivent pas à se dire que le bronze ne suffit pas. Je pense que ces championnats d’Europe, au regard du nombre de médailles glanées, vont nous permettre d’avancer sur ce point, de stimuler les egos. On leur a bien fait passer le message lors des podiums à l’ensemble des tireurs. Comme ils s’entraînent tous les jours pour performer, ils doivent désormais s’entraîner à gagner.
« On comble notre retard par rapport aux meilleurs »
Quel regard portez-vous sur l’adversité internationale ?
A. F : L’Angleterre, avec six médailles d’or, confirme sa domination sur l’Europe. Elle peut compter sur quatre athlètes phares, dont deux qui ont ramené cinq médailles. Le continent européen est très dense. Il n’y a pas eu trop de nouveaux tireurs parce que la majorité des nations fortes alignaient des sportifs expérimentés mais assez jeunes qui ont confirmé leur niveau. En ce qui nous concerne, on a démontré que nous comblions notre retard.
Comment se sont comportés les jeunes Tricolores ?
A. F : La plupart d’entre eux s’est mis la pression alors qu’on leur avait bien expliqué qu’ils étaient là pour apprendre. Que l’on attendait le meilleur d’eux mais pas forcément de grands résultats. Mais ils se sont mis une telle pression qu’ils sont passés à côté de leur championnat d’Europe. Cela fait partie de l’apprentissage. Ils ont l’habitude de disputer des circuits Coupes du monde qui reviennent tous les deux mois, donc s’ils se loupent sur une, ils ont vite l’occasion de se rattraper. Un championnat d’Europe ne se joue que tous les deux ans. Ils avaient tous à cœur de réussir mais ils n’ont pas réussi à faire ce que l’on attendait d’eux : apprendre, prendre du plaisir pour être performant et signer un bon résultat pour eux.
Si Clémence Delavopière, qui avait bien réussi les championnats du monde jeune, a su se libérer, Quentin Fernandez et Enzo Giorgi, eux ont subi la pression. Pourtant, Quentin avait fait de bons Mondiaux jeunes. Luca Platania et Clémence, qui étaient, contrairement à tous les autres jeunes, engagés sur deux armes, sont les deux qui se sont mis le moins de pression. Ils savaient qu’ils avaient deux chances et je pense que ça a joué.
Comment s’est passée l’entente entre les plus jeunes et les plus expérimentés du clan français qui vivaient leur premier championnat majeur ensemble ?
A. F : Ça fait déjà plusieurs mois que l’on travaille ce point. Depuis la fin des Jeux de Tokyo, on a intégré des jeunes dans le collectif seniors. Ils font désormais partie intégrante de ce groupe. Cela s’est très très bien passé. Les tireurs les plus expérimentés ont très bien accompagné les novices. Ils ont partagé leur savoir. Robert Citerne, par exemple, qui avait été sélectionné autant pour ses résultats que pour son expérience, a parfaitement tenu ce rôle. Par équipe à l’épée, comme il a ressenti une douleur à l’épaule lors des individuels, il a laissé sa place à Gaëtan Charlot. Mais Robert est resté très impliqué avec l’équipe tout au long de la journée de compétition. Il a ainsi apporté ses conseils.
« Prendre confiance en soi »
Quelles sont les échéances désormais ?
A. F : Il va falloir préparer les championnats du monde, prévus en septembre 2023 en Italie. Comme ce championnat d’Europe, ils seront particulièrement importants dans le parcours de sélection pour les Jeux de Paris 2024. Avant cela, il va falloir se reposer un peu parce que nos sportifs ont enchaîné la coupe du monde à Eger (Hongrie) et cet Euro. Néanmoins, ce sera une pause de courte durée parce qu’ils devront préparer la Coupe du monde à Washington (États-Unis) programmée dès le 14 janvier.
Et les axes de travail ?
A. F : Je vais continuer à travailler sur le développement, d’aller chercher des nouveaux tireurs en travaillant sur les territoires. Les stages Jap vont arriver en février et mars dans les régions et les départements donc il faut réussir à proposer encore l’escrime en sport 1 ou découverte. Et au niveau de l’équipe de France, ça va être de bien préparer les différentes épreuves à venir puisqu’on est en plein chemin de sélection pour les Jeux 2024. Il va donc falloir travailler sur la partie psychologique et renforcer les points techniques pour qu’ils gagnent en confiance. Aujourd’hui, ils ont un vrai bagage technique mais ils n’ont pas encore assez confiance en eux et en leurs qualités.
Rédaction : J. Soyer
Les médailles françaises
ARGENT
Yohan Peter (cat. B) épée
Maxime Valet (Cat. B) fleuret
BRONZE
Briana Vidé (Cat A) épée
Cécile Demaude (Cat B) épée
Damien Tokatlian (Cat. A) fleuret
Laurent Vadon (Cat B) fleuret
Maxime Valet (Cat. B) sabre
Équipe épée masculine (Yohan Peter, Adrien Turkawka, Lucas Platania, Gaëtan Charlot).
Équipe fleuret masculine (Lemoine, Platania, Tokatlian, Valet), 4e
Équipe épée féminine (Delavopière, Demaude, Sablon, Vidé), 4e
Le staff de l’équipe de France
Chefs d’équipe : Sébastien Barrois, Alain Febvre
Entraîneur Épée : Hervé Giorgi, Serge Prudhomme
Entraîneur Fleuret : Jean-Loup Boulanger, Guillaume Dubreuil
Entraîneur Sabre : Fabio Giovanni
Préparateur physique : Maxime Marie
Kinésithérapeute : Damien Travesset
Vidéaste : Dominique Declaude
Armurier : Serge Larher
Responsable haute performance : Norbert Krantz