Le manager de la cellule de la Haute-Performance dresse un état des lieux de la forme des Bleus à quelques mois des Jeux Paralympiques de Tokyo, décalés à l’été 2021 (24 août au 5 septembre). Les évaluations, encourageantes, justifient l’optimisme de Norbert Krantz.
Comment avez-vous suivi les équipes de France durant ces derniers mois, sans compétition ?
Norbert Krantz : Relativisme et positivisme sont les deux leitmotivs qui ont conduit ma stratégie et ma réflexion à l’égard de l’ensemble des acteurs. Relativisme parce qu’il me semble important de situer dans un contexte plus global ce que nous vivions et vivons encore (historiquement et mondialement) ; positivisme parce qu’il me parait nécessaire, voire urgent, de sortir du marasme induit par les médias. Il n’était pas question de nier les effets de la crise sanitaire mais il m’important d’apporter ou d’entretenir de l’espoir. En 1968, la grippe de Hong Kong, pendant les Jeux de Mexico et après, avait également été très meurtrière mais on s’en est sorti.
Les directeurs sportifs et les head-coach ont eu la responsabilité de maintenir un contact permanent avec les sportifs de haut niveau, de s’assurer de l’ouverture des conditions d’entraînement afin de lutter contre la moindre coupure et de surveiller l’apparition éventuelle de signaux forts ou faibles concernant leur santé (physique, psychologique et social). Personnellement, j’ai mis en place une évaluation subjective, tous les trois mois, par un sondage anonyme, directement adressé aux sportifs élite et senior pour recueillir une estimation, via une mesure sur dix points, de leur état de santé physique, technico-tactique et technologique.
Quel en est le bilan ?
N.K : On a constaté, après le premier confinement, une baisse tout à fait normale, de pratiquement un point sur les notes attribuées à la forme physique et technico-tactique ; elles sont naturellement liées à la diminution en quantité de l’entraînement. À l’occasion des confinements qui ont suivi, tout en ayant des difficultés à faire remonter ces deux points, petite baisse, d’un point aussi, sur les éléments psychologiques. Mais il y a aussi des leçons intéressantes à retenir de la période que nous traversons en termes de méthodologie d’entraînement, de cette période. On considérait qu’un arrêt de l’entraînement un peu long (au-delà de 4 semaines) ne pouvait induire que des effets négatifs (se référer aux effets délétères du désentrainement) et on observe que la coupure forcée a permis aux organismes de se régénérer dans tous les sens du terme. Et pour exemple deux observations concrètes : les championnats de France de natation qui ont eu lieu récemment, ont permis de mettre en évidence la très bonne forme et la fraîcheur de nos nageurs. J’avais également observé cet enthousiasme chez nos pongistes en stage, à la fin de l’été ; mais il était également lié à l’amélioration très substantielle de leurs conditions d’entraînement individuelles. Les organismes ont pu se régénérer parce que les corps ont fait l’objet d’une attention particulière, de soins et parce que les staffs ont su maintenir la motivation et penser la reprise
Les sportifs sont-ils dans les temps ?
N. K : Oui. Il nous manque des éléments concrets en termes de résultats, mais sur le sérieux à l’entraînement, je suis satisfait et confiant par rapport à ce que j’ai vu ou entendu. Il y a même une montée en puissance très nette de la préparation qualitative des sportifs et notamment de ceux que l’on attend sur les plus hautes marches. Quant aux équipes de sports collectifs, le Cecifoot est en ordre de marche et le rugby ne cesse de se professionnaliser. Les sportifs handisport, peut-être encore plus que les sportifs valides, ont une résilience extraordinaire. Ils attendent leur heure. Je ne suis donc pas inquiet par la baisse générale de la note de condition psychologique parce qu’elle me semble surtout liée au au caractère incertain et fluctuant de la situation sanitaire. Ils demeurent des sportifs extraordinairement motivés. En athlétisme, le Grand Prix de Dubaï (mi-février) donnera des réponses supplémentaires.
Aujourd’hui, quels sont les sportifs qualifiés pour Tokyo ?
N. K : Il y a 22 sportifs qualifiés : neuf pongistes, cinq athlètes, cinq nageurs et trois joueurs de boccia. Il y a aussi les équipes de France de cécifoot et de rugby fauteuil. Par ailleurs, trois quotas sont ouverts au tir à l’arc et neuf en cyclisme handisport. Les quotas signifient que la France a six places réservées pour les hommes et trois autres pour les femmes. La sélection se fera après les dernières compétitions internationales et dépendra des chances de médailles. Le choix est d’abord fait par le head-coach de chaque discipline. Il soumet ensuite sa proposition au comité de sélection de la FFH qui entérine ou pas ce choix, avant de transmettre la décision définitive au Comité Paralympique et Sportif Français. Il y a aussi un quota très probable pour Souhad Ghazouani en haltérophilie.
Outre ces 22 sportifs nommément sélectionnés et ces 24 présélectionnés, on a un potentiel de 25 sportifs qui tenteront de décrocher leur sélection lors d’épreuves se déroulant, pour la plupart, en mai et juin. Et on peut compter sur quelques bonnes surprises : par exemple, en escrime.
Quid, justement, de ceux qui doivent encore aller chercher leur billet ?
N. K : Pour le tennis de table, tout va se jouer sur un Tournoi de Qualification Paralympique. Nous y aurons sept représentants à Lasko (Slovénie). Ils devront gagner pour se qualifier. En escrime, il y a le championnat d’Europe et une coupe du monde au Brésil. On espère 6 à 8 quotas. En cyclisme, tout se jouera sur la route en mai et juin, via deux coupes du monde à Ostende (Belgique) et à Venise (Italie). Outre les neuf quotas déjà acquis, on espère en décrocher un autre au moins. Les athlètes, eux, partent sous peu au Grand Prix de Dubaï et ils enchaîneront par Tunis. On évalue à 11 le nombre de qualifiables possibles. Quant aux nageurs, ils disputeront les championnats d’Europe à Funchal (Portugal) en grand bassin et le championnat de France en mai. On peut espérer cinq sportifs en plus de ceux qui ont déjà leur billet. La complexité est que tout va se jouer dans des délais de temps très restreints puisque beaucoup d’épreuves ont été annulées ou restent incertaines. Et il y a encore quelques doutes sur des sportifs qui doivent repasser en classification.
Entre les sportifs sélectionnés et les quotas déjà acquis, la France est-elle dans les temps de passage espérés ?
N. K : Oui. Il n’y a pas de décalage au regard de ce que l’on vit depuis environ dix mois, je veux dire par là, qu’on n’a pas enregistré ou constaté d’abandons, ni de désengagement. On peut même attendre à quelques très bonnes surprises : des sportifs qui ont accompli de gros progrès, des jeunes talents qui émargent. Le cas des escrimeurs qui affichent de réels progrès depuis la prise en mains de Sébastien Barrois, vont tout jouer, par exemple lors d’un championnat d’Europe disputé sans repère vis-à-vis de la concurrence. Cela vaut pour pas mal de nos sportifs.
La cellule haute performance, dans laquelle la FFH est pleinement investie est-elle un marqueur fort de la professionnalisation de la Fédération ?
N. K : C’est l’aboutissement d’un processus visant la professionnalisation du sport de haut niveau conformément à ce qui a été préconisé par l’Agence Nationale du Sport dans le cadre de la création du Cercle Haute-Performance , avec des athlètes classifiés dans des listes A, B et C. Sa vocation est d’agir très vite et de manière très efficace auprès du sportif de haut niveau (son entraîneur personnel et l’ensemble des personnes qui travaille avec lui). Cette cellule permet d’apporter un regard très spécifique – type haute-couture – sur le sportif de haut niveau, son projet de performance et l’ensemble des personnes qui œuvrent à l’optimisation de son travail au quotidien Et entre les deux, établissant une relation étroite avec le Manger de la Haute performance à la FFH, les Référents techniques Haut niveau disciplinaires.
Concrètement, ça change quoi pour les sportifs ?
N. K : Tous les moyens financiers, technologiques et humains, favorisant la performance, seront ciblés et renforcés. Cela amène une focalisation accrue et très importante sur les sportifs qui peuvent gagner et sur ceux par la suite qui pourraient monter sur le podium. Nous n’oublierons pas les forts potentiels (jeunes par l’âge ou jeunes dans la pratique), démontrant une véritable capacité à performer dans les toutes prochaines années. L’idée est de transformer du bronze et des 4es places en médailles d’or ciblés et renforcés en diminuant au maximum les imprévus. En définitive et pour résumer la situation, à chaque sportif de Haut niveau correspond : un projet de performance, un entraîneur personnel, un ensemble d’accompagnateurs scientifiques (préparateur physique, mental, nutritionniste, spécialiste de la récupération, etc.), un Référent Technique Haut niveau disciplinaire, un Manager de la Haute performance et un ensemble de services mis à disposition par la fédération (médical, formation, recherche, communication). Et tout ce monde-là doit pouvoir travailler en accord et en harmonie à la réussite de tous et de chacun.
Le cercle de haute-performance doit permettre d’aller plus vite, d’être plus fort et plus précis. La présentation de la cellule, faite à l’ANS courant octobre, a été validée par Claude Onesta. Elle a été présentée le mardi 12 janvier dernier à l’ensemble des staffs de la FFH qui travaillent sur la haute performance.
Rédaction : J. Soyez